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Les révolutions des barbus


—  Ils n’ont pas l’air marrants.

—  L’époque n’était pas marrante.

—  Quelle époque ?

—  Le 19ème siècle même si le dernier, Freud, n’est pas vraiment le contemporain des deux autres. Il est mort en 1939 alors que les deux autres sont morts à un an d’intervalle en 1882 et 1883.

—  Tu me parles de leur mort tout de suite ? On a fini ?

—  C’est pour fixer l’ambiance Yael.

—  Tu parles d’une ambiance. Elles sont tristes et moches ces photos.

—  Tu l’as remarqué ? Elle sont en noir et blanc, c’est encore le début de la photographie. Les temps de pose sont longs j’imagine, ce qui oblige les sujets à rester crispés afin d’éviter de bouger. Et puis encore une fois les temps ne se prêtent pas à la rigolade.
Mais ces photos sont aussi un nouveau genre de témoignage. Pour la première fois une technique permet de fixer fidèlement pour la postérité les traits d’un visage. Justement, tu as remarqué un autre point commun en ce qui concerne ces visages ?

—  Ce sont tous de vieux hispters ?

—  Hum.. Ils portent tous la barbe oui. Mais celle de Marx est rebelle, indisciplinée, celle de Darwin est simple, austère alors que celle de Freud semble impeccable, tout droit sortie des mains du barbier.

—  Tu vois vraiment tout ça dans ces barbes ?

—  Je me plais à les voir comme cela.

—  Et tu m’as demandé d’arrêter ma finale de conférence sur NBA2k14 pour une histoire de barbe ?

—  Non la barbe c’est le prétexte. Le point commun que je voulais vraiment aborder c’est que ces trois personnages, dans leurs disciplines respectives, ont été l’incarnation d’une révolution, dans un 19ème siècle qui semble bien sombre après le siècle des lumières. Trois remises en cause de l’ordre établi  sur trois échelles de temps différentes et ayant les êtres humains pour sujet soit en tant qu’espèce, soit en tant que groupes sociaux, soit en tant qu’individus.
Charles Darwin, un naturaliste anglais, va porter un coup à la place de l’homme en temps qu’espèce dans le règne du vivant. Sa pensée nouvelle va à l’encontre du dogme chrétien selon lequel toutes les espèces ont été créées telles quelles dès les premiers jours du monde.
Karl Marx, un penseur allemand, va remettre en cause un autre ordre établi, celui selon lequel chaque être occupe la place qu’il mérite dans la société. L’ordre social n’est pour lui que l’expression de la domination de ceux qui possèdent les richesses sur ceux qui en sont privés et ne disposent que de leur propre corps, de leur propre travail pour subsister, pour vivre.
Enfin Sigmund Freud, un médecin autrichien, fondateur de la psychanalyse, va initier lui aussi une révolution sur la compréhension du fonctionnement de l’esprit humain en introduisant par exemple le principe du subconscient, des parties de l’esprit qui sont sous la conscience.

—  Je ne suis pas sure de tout avoir compris.

—  Ce n’est pas le plus important. On y reviendra forcément car chacune de ces approches nous concernent et nous interrogent tous les deux. Elles nous aident à comprendre qui nous sommes.

 Je suis ta fille.

 Tu es bien plus que cela.

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