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L’économie expliquée à ma fille – Partie 5 L’autre

Episode précédent – Demain

 C’est pas pour critiquer mais tu en as pris du temps Papa.

—  D’abord, ne commence jamais une phrase par « Ce n’est pas pour critiquer » sauf à vouloir te contredire dans la seconde qui suit. Ensuite j’avais des trucs à faire..

—  Tu as abandonné notre Robinson pendant tout ce temps ?

—  Abandonné… Tout de suite, les grands mots, je l’ai laissé prospérer voilà tout ; avant que l’autre n’arrive.

—  L’autre… Il n’y pas un film d’horreur qui porte ce titre ?

—  Non l’horreur c’est LES autres… Eh Yael ! Comment tu sais ça toi ?

—  L’autre c’est Vendredi ?

—  La diversion est grossière. Il faudra qu’on en reparle quand même. Oui l’autre c’est Vendredi. Enfin non ! Appelons le Vaiatea, parce que notre Robinson n’a pas éprouvé d’emblée la volonté de nommer un autre être humain selon son bon vouloir comme la première chose venue.

—  Vaiatea ?

—  C’est un nom polynésien qui signifie « Être lointain »

—  C’est joli !

—  C’est de circonstance.

—  Alors notre Robinson, il est gentil ?

—  Et oui, maintenant qu’il n’est plus seul, on peut se poser la question. Pas trop gentil quand même, puisqu’on va parler d’économie.

—  Il n’y a pas de place pour la gentillesse en économie ?

—  C’est compliqué.

—  C’est ce qu’on dit quand on ne veut pas répondre non ?

—  C’est ce que l’on dit quand on ne veut pas répondre dans l’instant. La question de l’intérêt personnel, de l’égoïsme naturel de l’être humain a été si longtemps considérée comme un postulat incontournable qu’il n’est pas possible de le remettre en cause d’un simple geste.

—  Et ça change quoi l’arrivée de Vend… de Vaia… Vaiatéa ?

—  Cela change tout. D’abord, avec l’arrivée d’un autre, commence à émerger l’idée d’une division du travail. Une idée simple et spontanée selon laquelle on gagne en efficacité en se partageant les tâches, en se spécialisant. Avec l’autre, on peut commencer à envisager des projets qui dépassent les moyens d’un homme seul.
Mais cela implique également de trouver un terrain d’entente, de se mettre éventuellement d’accord sur les activités qui seront menées, sur le partage des richesses produites ou sur les termes de l’échange qui sera réalisé par la suite sans garantie que ce partage soit équitable. En fait rien ne garantit que ce partage soit le résultat d’une convention librement consentie, ce peut être le fruit du rapport de force qui s’établit à un instant donné. Et voilà comment une nouvelle fonction économique essentielle apparaît : la répartition.
Avec l’autre, c’est la place de chacun qui est remise en cause. À la liberté absolue se substitue la nécessité d’aménager un espace pour tous. L’autre, c’est la naissance du droit.

—  Tu n’en fais pas un peu trop quand même ? Regarde-les ! Ils en sont encore à se jauger sur la plage.

—  Bien sûr que j’en fais trop, mais c’est quand même là que tout démarre vraiment. Et si deux, c’est insuffisant pour en prendre la mesure, pense à trois, quatre, dix, cent mille…

—  Cent mille. Ils ne tiendront jamais sur l’île !

—  Ne juge pas trop vite, regarde Singapour ou Hong Kong. C’est seulement une affaire de temps.

—  Et c’est quoi cette histoire de droit, on ne devait pas parler d’économie ?

—  C’est pareil ! À partir de deux, il devient nécessaire de définir les droits et devoirs de chacun. Que cela repose sur une convention implicite entre les membres de cette communauté naissante ou sur des règles plus strictes, voire des règles écrites, c’est la même chose.

—  Communauté naissante ? Je te signale qu’ils ne sont que deux, Robinson et Vaiatéa… et que ce sont deux hommes.

—  Hum ! Je te concède que ce n’est pas gagné d’avance, mais ils sont promis à un grand destin… Tout comme toi.

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