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Quatre couleurs

—  Tiens Yael, puisque tu aimes le dessin j’ai un coloriage pour toi.

—  Jor ! J’ai eu un appel de 2007, papa… Il veut récupérer ses jeux.

—  D’abord on ne dit pas jor ! mais genre ! Et ensuite… on ne dit pas genre !

—  Ca ne change pas le fait que ta proposition est moisie.

—  Tu en parlera à Francis Guthrie.

—  Qui encore ?

—  Francis Guthrie, un mathématicien sud-africain du 19ème siècle qui, alors qu’il coloriait une carte des comtés de l’Angleterre, remarqua qu’il n’avait besoin que de quatre couleurs pour tout colorier tout en respectant une contrainte plutôt courante en ce qui concerne les cartes en géographie : il ne devait pas colorier de la même couleur deux comtés qui avaient une frontière commune.

—  Des comtés ? C’est plus encore plus vieux que je ne le pensais.

—  Des comtés, des pays, des morceaux de verre sur un vitrail, tu peux choisir le contexte que tu préfères, ça marche aussi. Tiens prends cette image.

—  Mouais.. Et alors ?

—  Plutôt tarabiscotée non ?

—  Tara-quoi ?

—  Compliquée. Plutôt compliquée !

—  Si tu veux.

—  Et bien on pourrait la rendre plus compliquée encore, on n’aurait jamais besoin de plus de quatre couleurs pour la colorier tout en faisant en sorte que deux zones adjacentes ne soient pas de la même couleur. Tiens donne moi quatre couleurs…

—  Vert pomme, idi.. indigo, bleu des mers du sud et…. orouge.

—  ….

—  Quoi encore ?

—  Rien, ça fait plaisir de voir que tu retiens certaines choses même si tu ne sembles pas vouloir me faciliter la tâche.

—  Tu abandonnes si vite ?

—  Absolument pas. Un coup de Gimp et… Tadam !

—  Tu appelles ça de l’orouge ?

—  En terme de longueur d’onde, C’EST de l’orouge.

—  Bon d’accord et ça marche pour tout ?

—  Ça marche pour les surfaces planaires, qui s’inscrivent dans un plan, et ça marche pour la surface des sphères. Ça tombe plutot bien car notre planète est une sphère approximative.

—  Approximative ?

—  Oui, regarde du côté des Alpes ou de l’Himalaya, il y a des trucs qui dépassent… Et je te laisse imaginer ce que devient une boule d’argile si tu la mets sur un tour de potier de manière à la faire tourner très vite sur elle même. La Terre c’est pareil.

—  Donc tu prétends qu’il faut quatre couleurs pour colorier une carte.

—  Non je prétends qu’il ne faut jamais PLUS de quatre couleurs pour colorier une carte. Trois couleurs, voire deux ou même une peuvent suffire dans certains cas.

—  Et comment on sait combien de couleurs sont nécessaires.

—  On ne sait pas, ou plus précisément on ne sait pas le déterminer de manière rapide. Cette question on l’abordera plus tard.

—  Mais si on veut colorier les régions, ou même les départements au lieu des pays ?

—  Ca ne change rien à l’affaire. De quatre couleurs tu te muniras et colorier tu pourras.

—  La rime c’est vraiment obligatoire ?

—  C’est pour mieux marquer ton esprit de mon empreinte.

—  Beurk !

—  …. Tu comprendras quand tu auras des enfants.

—  Je ne toucherai pas à leur cerveau moi.

—  Oh que si ! Pour leur plus grand bien. Maintenant pour en revenir à nos cartes, on peut avoir besoin d’une couleur…

deux couleurs… ou

trois couleurs…

ou quatre couleurs…

Et c’est tout !!!

—  Mais si on ajoute un dernier carré dans le dessin précédent ?

—  Comme ça ?

— …. Aahhh ! D’accord.

—  Je vois que tu as compris. Le dernier carré n’a de frontière qu’avec trois autres carrés, on peut donc réutiliser la couleur du quatrième.

—  Comme ça alors.

—  Exactement ! Mais on peut même faire mieux.

Tu remarqueras qu’on a ajouté un carré mais le nombre de couleurs nécessaire au coloriage a diminué. Ce qui importe en fait n’est pas le nombre de zones à colorier mais les relations de continuité qu’elles entretiennent entre elles, c’est à dire le fait qu’elles se touchent entre elles ou pas. Dans le dernier exemple tu ne peux pas prendre 4 carrés au hasard tels que chacun d’entre eux soit en contact avec les 3 autres. Donc il n’y a pas besoin de 4 couleurs.

—  C’est plutôt marrant.

—  C’est peut-être marrant pour toi mais ce petit problème a rendu triste toute une tripotée de mathématiciens.

—  Parce qu’ils n’aiment pas les couleurs ?

—  Pas du tout ! Fais une recherche sur Cédric Villani, un mathématicien français qui a obtenu la dernière médaille Fields, le plus prestigieux prix international en mathématiques et tu en conviendras.
Ce qui les a dépité c’est que ce problème tout simple, cette toute petite histoire des quatre couleurs n’a pu être démontrée qu’avec l’utilisation d’un grand nombre d’ordinateurs dans les années 1970. Tant de gens brillants ont imaginé pouvoir démontrer ce postulat pendant deux siècles et la seule démonstration communément admise est issue de programmes informatiques de grande ampleur. Ca manque singulièrement.. d’élégance.

—  Ils aiment l’élégance les mathématiciens ?

—  Fais une recherche sur Céd…. Ah je te l’ai déjà faite celle-là non ?
Quoi qu’il en soit, oui ! Ils aiment l’élégance. Toutes les démonstrations ne se valent pas, certaines sont plus brillantes et belles que d’autres. Ici c’est comme prendre un bulldozer pour montrer la fragilité d’un oeuf. Ca manque de finesse.

—  Maths, beauté, finesse, élégance… Euh ok.

– Lâche ce ballon de basket 2 secondes c’est presque fini. Juste une dernière question… Et si nous habitions un beignet ?

—  … un… beignet ? …Tu ne veux pas sortir faire quelques paniers avec moi, tu commences à fatiguer là.

—  C’est pourtant si simple. Si notre planète avait la forme d’un beignet ou d’un tore comme préfèrent l’appeler les mathématiciens, combien faudrait-il de couleurs pour être sûr de colorier l’ensemble des pays quelle que soit leur configuration ?

—  Je ne sais pas moi… cinq ?

—  Non sept.

—  Et pourquoi sept ?

—  Parce que !

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